Romain

*Romain entra dans la salle d’évaluations où l’attendait le Jury, le sourire aux lèvres. Il occupait la semaine dernière une belle place de 5e du TOP, ce qui le surprit mais l’enchanta au plus haut point. De plus, son duo avec Calogero fut récompensé d’une belle moyenne. Il avait envie de leur en montrer plus aujourd’hui, de ne pas les décevoir après tant de beaux compliments. La choix de sa chanson ne fut pas difficile à faire. Naturellement, il arriva à travailler sur « Parce qu’on vient de loin », de Corneille. Chanson qu’il présentait aujourd’hui à ses professeurs à la guitare, ce qui l’enchantait d’autant plus. Le centre de la salle était vide, pas même un pied de micro. Après avoir enlevé sa veste, et salué énergiquement le Jury qu’il rencontrait pour la deuxième fois dans ces conditions, il prépara sa petite scène en souriant. Il savait exactement ce qu’il voulait pour cette prestation. Une chaise au milieu de la salle, deux pieds de micro et leur micro : un pour la guitare, un autre pour lui. Il s’installa, fit rapidement les quelques réglages. Enfin prêt. Romain sourit aux professeurs et leur annonça qu’il avait choisi le titre de Corneille parmi la liste des chansons proposées, et qu’il la ferait à la guitare. Après avoir reçu le signe de départ de ses professeurs, il commença son évaluation..*

Nous sommes nos propres pères
Si jeunes et pourtant si vieux, ça me fait penser, tu sais
Nous sommes nos propres mères
Si jeunes et si sérieux, mais ça va changer
On passe le temps à faire des plans pour le lendemain
Pendant que le beau temps passe et nous laisse vide et incertain
On perd trop de temps à suer et s'écorcher les mains
A quoi ça sert si on n'est pas sûr de voir demain
A rien

*Romain commença à plaquer les premiers accords sur sa guitare, en fixant le Jury derrière son micro. Il était beaucoup moins stressé que lors des précédentes évaluations, sûrement l’effet de l’instrument. Car avec son objet fétiche entre les mains, il avait envie de s’approprier la chanson, de s’imposer. Il approcha en douceur son visage du micro face à lui, et entama la chanson. Sa voix était douce et juste. Il fixait ses professeurs face à lui, jouant de l’œil et maîtrisant les sons qu’il produisait. Chanter et jouer d’un instrument à la fois n’était pas un exploit pour lui, il en avait l’habitude, c’est pourquoi il était détendu. Et puis, de nature timide, il se sentait toujours mieux avec un instrument dans les mains, une sorte d’échappatoire si on veut. Son interprétation de Parce qu’on vient de loin était simple. Mais c’était ce qu’il recherchait. C’était ainsi qu’il ressentait la chanson, et il le montrait. Il en faisait une interprétation simple, mais sincère..*

Alors on vit chaque jour comme le dernier
Et vous feriez pareil si seulement vous saviez
Combien de fois la fin du monde nous a frôlés
Alors on vit chaque jour comme le dernier
Parce qu'on vient de loin

*Lorsque arriva le moment du refrain, Romain s’ouvrit plus aux professeurs. Son regard fut plus expressif, son visage s’illumina. Il prenait du plaisir, tout simplement. En tapant doucement la mesure avec son pied, et sûrement par angoisse quelque part – implicitement -, il adressa un grand sourire aux professeurs. Cette chanson avait un message à faire passer, et réussir cette interprétation signifiait de faire passer ce message, en question. Il changea sa façon de jouer de la guitare, cette fois il tapait plus sur les cordes tendues. Sa voix fut plus imposante, elle occupa l’espace de la salle qui était mis à disposition. Et même s’il n’était pas toujours juste, il laissait passer l’émotion, ça compensait. Les « Palapapa » qui suivirent le refrain amplifièrent le plaisir que prenait Romain à interpréter cette chanson. Il chanta avec le sourire, presque minaudant mais très peu, pour ne pas tomber dans le faux, en fait, il jouait surtout avec le regard..*

Et quand les temps sont durs
On se dit : "Pire que notre histoire n'existe pas"
Et quand l'hiver perdure
On se dit simplement que la chaleur nous reviendra
Et c'est facile comme ça
Jour après jour
On voit combien tout est éphémère
Alors même en amour
J'aimerai chaque reine
Comme si c'était la dernière
L'air est trop lourd
Quand on ne vit que sur des prières
Moi je savoure chaque instant
Bien avant que s'éteigne la lumière

*Romain reprit sa première façon de jouer de la guitare – pour les couplets -, acoustique. Il réalisa des effets de voix plutôt réussis, changeant de temps à autre la note de certains mots, ou la puissance qu’il mettait dans sa voix. Ces changements étaient essentiels pour mieux raconter l’histoire de cette chanson. Romain le faisait du mieux qu’il pouvait. Son regard était posé, il ne quittait pas des yeux ses professeurs, sauf pour regarder sa guitare rapidement sur certaines fins de phrases. Il faisait passer chacune des émotions qu’il avait en lui à l’instant précis, que ce soit par la voix ou par le regard. Il avait cette chaleur particulière dans la voix qui se fondait parfaitement avec le son du seul instrument qui l’accompagnait. Durant les répétitions, il avait craint de ne pas pouvoir s’imposer et de « se cacher » derrière sa guitare, mais c’était tout le contraire. Il n’avait jamais été aussi bien, et aussi présent dans une interprétation..*

Alors on vit chaque jour comme le dernier
Et vous feriez pareil si seulement vous saviez
Combien de fois la fin du monde nous a frôlés
Alors on vit chaque jour comme le dernier
Parce qu'on vient de loin

*A nouveau, Romain changea sa façon de jouer de la guitare, pour reprendre le « tapage de cordes » des refrains. Il créait ainsi une sorte de rythme différent à l’originale. Il commença un deuxième refrain avec le sourire aux lèvres, fixant le Jury qui prenait des notes. Il chantait tout en étant conscient de chacun des mots qu’il disait, avec un plaisir intense. Il y a une semaine, il pensait à la justesse, au regard, au rythme, à tout.. Et en devenait si crispé et renfermé, que son interprétation en devenait factice. Là non. Tout se faisait naturellement, il pensait juste à prendre son pied, et à partager. Il sut s’imposer durant ce refrain par sa voix rythmiquement en place, juste, et agréable. Rien n’était forcé, il sortait les mots et les sons tels qu’il les ressentait. Il y avait cette sincérité qui émanait de lui, et c’était un point fort. Romain resta concentré sur sa guitare et son interprétation, pour la partie qui allait suivre..*

Jour après jour
On voit combien tout est éphémère
Alors vivons pendant qu'on peut encore le faire
Mes chers

Alors on vit chaque jour comme le dernier
Et vous feriez pareil si seulement vous saviez
Combien de fois la fin du monde nous a frôlés
Alors on vit chaque jour comme le dernier
Parce qu'on vient de loin

*La partie avant le refrain – de « Jour après jour » à « Mes chers » -, Romain la chanta avec le plus d’énergie possible. Il ferma légèrement les yeux sur certains mots, faisant passer l’émotion et les rouvrit rapidement. Sur « Mes chers », il tint la note juste un moment, avec un sourire aux lèvres. Puis il enchaîna sur la fin de la chanson, et utilisa la façon de jouer de la guitare spécifique aux refrains, encore. Sur cette dernière partie, il donna toute l’envie de réussir qu’il avait en lui, tout le plaisir qu’il prenait. Il fit partager chaque émotion qui était en lui, tout en maîtrisant sa voix, la plus claire possible. Romain jouait de son regard, adressé à ses professeurs. Il finit en douceur, sur une note juste et atténuée, tout comme l’accord de sa guitare. Romain sourit à ses professeurs, il posa sa guitare dans un coin, enleva la chaise sur laquelle il était assis, ainsi que les pieds de micro. L’espace scénique était maintenant vide. Place à la danse.*


*Romain choisit une chanson de Louis Armstrong, Hello Dolly. Danser une musique qui bouge beaucoup n’allait pas l’avantager, d’où ce choix intelligent. Il prit un pied de micro à sa hauteur et le plaça au milieu de la scène, mit un chapeau noir et se plaça au fond de la salle. Il fit un signe aux professeurs qui mirent le CD en marche. Sur l’instrumental qui précédait les paroles, il tapa doucement la mesure avec son pied, dos aux professeurs. Sa tête bougeait légèrement en rythme, puis quand la voix de Louis se fit entendre, il se retourna et fixa intensément le Jury..*